Dans l'atelier au borg de l'étang...

Une jeune fille de 20 ans pose nue pour la première fois dans un atelier de dessin et de peinture...

Écrit par Aglaé Dupont - 2017

· Littérature
La Pose - Technique mixte sur Châssis Entoilé - 2009 - 70 x 100

Introduction

Comme l'écrit si bien Fabienne Gillman dans "Le métier de Modèle d'arts plastiques", les modèles sont souvent eux même des artistes. Certains des modèles qui posent pour les ateliers de l'association "Ateliers Mas Des Artistes", sont des comédiens, des artistes peintres, des musiciens ou bien encore des écrivains...

C'est alors que je fais la rencontre d' Aglaé Dupont, fille de Jean Claude Espinasse, lui même Artiste Peintre Montpelliérain.

Au fil des ateliers, nous faisons connaissance et je découvre ses écrits par le biais des réseaux sociaux. Je suis à la fois touchée par sa sensibilité et par la qualité de son écriture.

A vous mes lecteurs, je vous transmets son témoignage concernant sa première expérience de modèle. Un témoignage touchant, vue de l'intérieur, raconté avec la sensibilité qui l'a caractérise.

  

Isabelle Robert

Artiste Peintre et Présidente AMDA

Aglaé Dupont

La pause dans la pose

"Dans l’atelier au bord de l’étang, elle avait vingt ans, et elle venait de quitter pour la première fois en public son peignoir bleu turquoise. Ses fesses débordaient du tabouret froid sur lequel elle cherchait discrètement l’équilibre avant le top chrono. Ils ne pouvaient pas percevoir la moiteur de ses mains, ni entendre les battements impressionnants de son cœur. Leur vision allait et venait de leur toile à ses pieds minuscules, à ses épaules douces et protectrices, en passant par son buste alors menu, ses seins frileux et denses, ou le raccourci de ses cuisses. Elle découvrirait plus tard que c'était la courbure récurrente de son dos qui donnait un petit côté renfrogné à sa silhouette ce jour là .
Sa pudeur, livrée en pâture à tous ces pinceaux avides dans des mains fébriles et solidaires de leur outil, en prolongement de leurs regards mobiles, elle se consolait à la chaleur crue mais bienvenue des lampes sur sa peau, avec pour seule issue, seule fuite, celle de son propre regard. Croiser le leur le moins possible, ne surtout pas se hasarder à y trouver l’effet d’une quelconque séduction. Bannir toute idée de désir. Sujet anatomique réduit à un objet d’étude, ça faisait sérieux. Voilà, comme ça, c’était rassurant.

Pose double en plein air - Château de Raissac

Entendre parler de sa peau comme d’une surface bénie de réflexion de la lumière. Comprendre que la couleur chair en tube était une hérésie, un affront fait à la singularité de chaque carnation, et à la liberté de l'artiste. Envisager sa morphologie en tant que support d’un jeu de proportions, de mouvements et de couleurs, déclinables à l’infini. Elle avait appris tout cela ici, de la voix du maître, de ses élèves, et de leurs talents réunis. Elle en garderait une tendresse et une reconnaissance infinie pour les artistes, tous les artistes, ceux qui cherchent, ceux qui se creusent et qui se perdent, parfois jusqu’en eux-mêmes.

Ne rien faire qu’être là, relever le défi de rester présente mais ressentir une forme d’absence douloureuse dans cette immobilité obligatoire. Apprivoiser les bataillons de fourmis qui grossissent au rythme implacable des minutes, puis des secondes qui n’en finissent pas. Et puis, cette obsession, qui ne la quitterait plus dans sa vie de modèle, quoi qu’il advienne, quelle que soit la proposition de travail, ne jamais avoir froid, ne jamais donner à voir de son sexe autre chose que son pubis, avec ses gardiens valeureux, les poils. Il faudrait s’en contenter. C’était sa limite, son garde fou, son verrou.

En goûtant le silence de cette ambiance studieuse, presque recueillie, scandée par quelques crissements de fusains sur le papier, ou le tintement d’un pinceau contre son bocal, elle se disait qu’elle s’y ferait. Les tensions dans l’espace qui la séparait des autres, même invisibles, elle les ressentait autour d’elle, et en elle.
Il fallait aussi supporter les odeurs d’essence de térébenthine, de laque, et l’âpreté du brou de noix, mais elle aimait le paradoxe de se sentir utile et en même temps, d’être le centre de l’attention, à la fois interchangeable, et unique, jusqu’au moment où elle n’avait plus qu’une hâte, faire une pause, après sa pose.


Là, elle passait de chevalet en chevalet, curieuse des projections des participants sur la toile ou le papier, se laissant émouvoir par leur maladresse, leur frustration, ou surprendre par leur virtuosité, leur interprétation, leur liberté ici ou même leur pudeur, et par l’audace même pour certains, d’être allé jusqu’ au frôlement de son âme."

Aglaé D. 20 juillet 2017

Et vous en pensez quoi vous?